Devant la parole

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TitreDevant la parole
Type de publicationLivre
Année de publication1999
Auteur·e·sValère Novarina
Nombre de pages177
ÉditeurP.O.L
VilleParis
Résumé

Résumé descriptif:

Acteur et auteur dramatique, Valère Novarina poursuit avec Devant la parole sa réflexion sur le langage, la parole, le temps, l’espace. Il nous invite notamment à repenser notre rapport à la parole en donnant à comprendre le langage comme l’objet qui contient tous les autres (bête de mots qui se déplace devant, autour et dans l’homme) et le lieu même de l’homme en quête d’espace, c’est-à-dire de sens, d’ouverture au sein du monde. En quatre chapitres, précédés d’illustrations qui tiennent lieu d’exergues, la parole est prise —donnée—, se déploie et «devient par instants l’objet d’une vue» (p. 73).
 
Novarina insiste tout particulièrement sur le fait que la parole, cette combinaison d’éléments disjoints qui survient dans un monde gouverné par l’attente et régi par un chaos de contradictions, n’est pas là pour exprimer le dicible ou le visible. Elle existe au contraire pour mieux appréhender l’absence. Mais ce faisant, elle s’écroule : la nomination des choses, en tant qu’orchestration mathématique mise en œuvre pour pallier les manques, ne fait que répondre à un postulat arbitraire suivant lequel «rien n’est sans langage» (p. 33). Et derrière ce postulat, le langage appellerait sans cesse à son propre renversement, inciterait à rêver d’autres formes, d’autres façons de dire. L’homme se renouvelle ainsi à chaque mot en une combustion éclairante, une multiplication de l’espace par le temps. Dès lors le langage, lieu d’origine et d’enfouissement, «déchire le monde devant nous» (p. 57).
 
Quant à l’espace théâtral, il fragmente et recompose le réel, émet des «signaux d’hommes» (p. 66), nous réapprend à nommer le monde. C’est pourquoi le théâtre demeure fragile, temple et prière : nous ne sommes en tout et pour tout que des paroliers éphémères, et ne portons en nous que le souffle d’une langue.
 
Résumé interprétatif:
 
Que se passe-t-il quand un homme de théâtre s’interroge sur les problèmes inhérents à la parole ? Valère Novarina s’attaque à cette question avec un sens instinctif de la mise en scène, déployant dans cet essai une réflexion en quatre actes (ou chapitres), avec décors —peintures, photographies— et acteurs (imaginaires ou non). Très vite il constate la complexité des enjeux, et souligne à quel point il est illusoire d’espérer une réponse univoque, définitive et dernière.
 
La parole se doit en fait de percer l’espace, de signifier, même de façon abstruse, au centre de l’absence. C’est peut-être l’absence qui donnerait son sens au langage, et par le fait même à la présence. Il ne s’agit donc pas de saisir des contenus ou des messages, mais plutôt de cerner la «dynamique verbale» (p. 21) qui amène le langage à entrer en guerre contre lui-même. Renversement, transformation, renouvellement, scissiparité : ces mots guident implicitement le travail de Novarina. Il en résulte un texte qui ne se tient pas, se refuse à lui-même comme appui, se désobéit. Par ce jeu paradoxalement cohérent, l’auteur s’élève contre une certaine fonction de la parole, contre ce radotage consistant à échanger la parole comme on échange des informations, des objets, et revendique dans l’écriture un souffle vrai, une force animale. Du texte de Novarina se dégage une énergie qui bouscule les mots d’une façon telle qu’il en surgit du lieu, de la matière, de l’autre. En parlant il faut se porter à la rencontre de cette force impersonnelle de déchirure, il faut entrer dans le langage, faire comme lui, avec lui, de l’espace : à même l’espace et à même le temps, mais plus encore à la jonction de ces deux dimensions, poursuivre et entretenir leur rencontre.
 
Entre l’abstrait et le concret : le pli du réel. Là également, pour la rédemption de nos âmes, apparaît le théâtre. L’espace théâtral est précisément le lieu où l’homme sans homme, l’acteur, «praticien du vide» (p. 70), prophète de la mémoire, peut matérialiser le mot en un objet chiffré, une forme respirée. Sur scène, ni illusion, ni référence, mais une décomposition et un désagissement de l’homme réincarné dans le langage, dans un nouvel espace, dans une lumière autre, devant l’autre. Ainsi, «l’acteur devant nous est un animal qui s’insoumet à l’image humaine» (p. 81) en faisant résonner sa mémoire. Pour Novarina, le «théâtre est le lieu où faire apparaître la poésie active» (p. 84), résistance contre l’idolâtrie et le pouvoir de l’image. Le théâtre représenterait encore un devenir politique de la poésie où l’écriture s’entend, précise et vibrante, atteint son but, interroge le langage. «Temps et langue deviennent sur scène une même nourriture et lorsque nous mangeons, c’est signe que nous avons faim de changer quelque chose 1».
 
Devant la parole n’est pas l’analyse d’un «intellectuel émetteur d’opinion» (p. 69) ni l’expression d’un «être sensible ressentant des impressions» (p. 69). La posture de Novarina semble plutôt régie par la nécessité de l’exploration, du risque, de l’expérience-limite du langage. Le verbe ébranle l’action, libère la pensée, la transforme en souffle et en passages. Verbe ludique et incantatoire, comme dans les premières pages de La chair de l’homme 2 où le texte littéralement se fait verbe. «L’espace est un verbe» (p. 119) disait justement Louis de Funès, l’acteur-philosophe de Novarina. Cet espace est délivré par le temps qui le multiplie, le ramifie, le déplie : «le temps est l’acteur de l’espace» (p. 171), et c’est en le traversant que l’émotion apparaît.
 
On le voit, tout converge, se touche, tout se transmet. Tout meurt également, même dans les citations imaginaires, la déstructuration, les lois antiphysiques. Le possible, l’ouverture, résident dans l’écoute, dans l’ombre, l’égarement : l’homme livré seul à ce qui l’excède.
 
1Valère Novarina, Le repas, Paris, P. O.L., 1996, p. 19.
2Valère Novarina, La chair de l’homme, Paris, P. O.L., 1995, 525 p.